Danse orientale, danses orientales et préjugés (4)

Le dernier chapître de cette série d’articles sur les préjugés autour de la danse orientale, thème du spectacle virtuel de Diwan Danses d’Orient, « DiWision » , concerne le plus tenace : le terme de « danse du ventre » comme si seul le ventre bougeait, comme si seul ce nombril éventuellement visible, comme si ce corps partiellement dévoilé était la seule chose à retenir d’un art millénaire.

Dévoiler son corps et notamment son ventre c’est transgresser des tabous

Evidemment le ventre renvoie à notre lien à la mère et à la vie, ce qui nous ramène au sacré, au culte de la déesse mère, évoqué dans le chapitre 1 et aux tabous religieux qui ne datent pas d’aujourd’hui.

« Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées. » Le Tartuffe, III, 2 (v. 860-862)

Car aux yeux des soldats de Napoléon ce mot « ventre » désignait implicitement aussi bien les mouvements de bassin et des fesses.  Parce que chaque époque, chaque société a ses codes et qu’ attirer l’attention sur certaines parties du corps peut être perçu comme une transgression de ces codes. Ainsi le french cancan a été lui aussi interdit parce que lever la jambe, la robe et les jupons en montrant des frous frous et une culotte fendue était impudique. Pourtant ce même mouvement que l’on retrouve par exemple chez les cosaques ou chez les palestiniens et qui demande au demeurant une excellente condition physique n’était nullement interdit aux hommes.

Le simple fait de montrer son nombril est aujourd’hui encore une transgression des codes. Là encore question de conventions : en Inde le nombril n’est pas tabou, en Europe le monokini sur les plages ne choque plus grand monde, et les « me too » se battent pour que les femmes aient le droit de se sentir bien et belles dans la tenue qui leur plaît sans être une proie sexuelle.

Progressivement les mentalités évoluent et les verrous sautent : ainsi la danse contemporaine a fait sienne ces mouvements de bassin et de ventre sans que personne ne s’en offusque. Un exemple parmi d’autres : la chorégraphie de la danseuse Yasmina Prolic lors du spectacle de Diwan -Centre « Encore et Encore » . D’ailleurs il y a de plus en plus de croisements entre la danse contemporaine et la danse orientale, baptisées « fusions ». La mondialisation a parfois du bon.

Une chorégraphie de Yasmina Prolic au croisement des cultures

La « danse orientale » mobilise toutes parties du corps

La danse dite « orientale » mobilise toutes les parties du corps. Ecoutons la description d’ Edouard Schuré, écrivain et musicologue de la fin du 19° qui ne s’est pas laissé abuser par la première impression.

 » Elle se tient droite; mais chose étrange, les trois parties de son corps, la tête, la poitrine et les flancs ne se mettent en branle que successivement et séparément. C’est d’abord la tête qui bouge horizontalement et automatiquement de droite à gauche et de gauche à droite, comme la tête d’un serpent qui se réveille. Ensuite les seins s’animent du même mouvement vibratoire sans que le reste du corps y participe. Enfin les flancs commencent à s’agiter pour eux-mêmes. Alors c’est une innombrable et savante variété de trépidations et de mouvements circulaires des hanches et des reins, auxquels la tête de la danseuse assiste dans une immobilité glaciale. On dirait que toute la conscience a passé dans les muscles inférieurs du corps pour y exécuter cette folle gymnastique. On pense aux vers de Martial sur la danse des filles de Gadès : Vibrabunt sine fine prurientes lascivos docili tremore lumbos. Puis, l’épais vertige remonte des flancs à la tête et redescend de la tête aux flancs en s’alourdissant et se précipitant toujours.

Edouard Schuré
Sanctuaires d’Orient, Paris, 1898, p.25.

Et si vous en doutez encore, je vous invite à regarder cette vidéo splendide d’un danseur oriental : Farid Larbi. Non seulement c’est magnifique mais cela permet de visualiser cette vague qui parcourt le corps de la tête aux pieds, mobilisant tous les muscles . Mais ce titre qui apparait dans les premières secondes et sur la miniature montre que même parmi les fans le cliché est tenace.

Danse orientale c’est à dire danse du ventre?
C’est pourtant grâce aux genoux que l’on peut trembler,
Et grâce à la tête qu’on arrive à tourner.
Besoin du bassin pour pouvoir onduler,
Et enfin des épaules que shimmy on fait !
Huit vers le haut ou le bas,
Pas besoin du ventre pour faire cela !
Une rotation poitrine, rien de plus simple
Une hanche baladi, quel riche exemple.
Et les bras, à quoi servent-ils ? Posés à la ceinture ?
Au maintien, ainsi qu’à tenir tous les accessoires !
Alors danse du ventre, en êtes-vous bien sûr ?
Nous allons vous montrer que ce sont des histoires
Anna Journet

Les mouvements de la danse orientale mobilisent

A) le ventre (le dos et les fesses)

Vous trouverez sur google de nombreuses videos vous expliquant comment effectuer ce mouvement connu sous le nom de «  chameau » parce que ce mouvement effectué en marchant évoque pour certains la démarche d’un chameau. J’ai choisi celle de Yael Zarca qui commence par l’expliquer en position allongée, c’est très parlant. On peut d’ailleurs inverser le mouvement.

Démonstration du mouvement du  » chameau » par Yael Zarca

Les muscles renforcés sont la sangle abdominale et donc les muscles du dos, le grand droit, partie haute de l’abdomen (juste sous les cotes), les obliques, le périnée.

B)le bassin (hanches, taille et fesses)

Les hanches décrivent des 8, des cercles et des demi cercles. Des mouvements de haut en bas et de droite à gauche. Ces déhanchements constants musclent intensément la sangle abdominale et affinent la taille.

Yael Zarca explique les  » déhanchés  » et les « accents ».

C)la partie basse du corps : (jambes, pieds, chevilles et surtout genoux)

On danse rarement sur place sauf dans une discothèque bondée .. . et encore même dans ce cas on a encore besoin de ses pieds. Comme toutes les danses la danse orientale suppose des déplacements qui peuvent se faire sur pieds plats (bien ancrés dans le sol ) ou au contraire sur demi pointes. On retrouve des figures de la danse classique comme les arabesques, le pas chassé, ou les tours. Tout ceci mobilise bien évidemment les jambes . Une particularité par contre est l’usage des genoux qui permettent d’effectuer les tremblements du bassin .

Les tremblements du bassin partent des genoux!

D) le buste (épaules, poitrine)

On retrouve ces mêmes tremblements au niveau des épaules. Ils portent le nom de shimmy. Si vous regardez bien vous constaterez que le buste est lui aussi en mouvement. On peut aussi le travailler isolément. Regardez aussi les bras qui sont en position de base. Essayez de les maintenir longtemps dans cette position et surtout sans hausser les épaules et vous comprendrez sans doute qu’au delà du gracieux sourire il y a un vrai travail musculaire.

Les accents d’épaule: démonstration Ann Gaelle

E) la tête

Là aussi il y a des choses communes à toutes les danses. Le regard est important. Essayez de valser en tournant la tête et les yeux au mauvais moment! De même pas question d’enchaîner les tours comme peuvent le faire les derviches tourneurs sans maitriser ce mouvement. Pas ailleurs le regard est important, tourné vers le public ou vers ce qu »on veut qu’il regarde ce qui nécessite que la tête suive! Plus spécifique de la danse orientale et africaine il faut un cou totalement relâché, condition incontournable pour danser avec les cheveux comme les shikhats ou les fe mmes gnawas ou pour effectuer le mouvement de tête côté-côté que l’on retrouve en danse indienne. La tête sert aussi à porter des accessoires : chandeliers, jarres…

le mouvement de tête coté coté montré par Awa de  » Danse Safran »

F) Et les bras dans tout ça ??

Et bien je vous invite à essayer de danser en faisant tourner un simple foulard de soie. C’est l’accessoire le plus léger! Vous serez surpris en constatant qu’à ce rythme vos épaules seront rapidement fatiguées. Nous avons aussi outre les bâtons et les cannes largement évoqués dans cette série d’articles, les merveilleuses ailes d’isis dont le maniement demande aussi une grande dextérité.

Vous l’aurez compris : les danses orientales sont non seulement un art, mais un sport complet.

Nous terminerons sur le tableau final du spectacle  » Magie d’Orient » 2019 de notre atelier Diwan Danses d’Orient, en espérant vous avoir donné envie de sauter le pas.

https://www.youtube.com/watch?v=ukvA6-5HzP8

Liens vers les articles sur le même thème autour du spectacle virtuel « Diwision » : projection publique le 13 décembre 2020 à 11h au Cinéma les Carmes.

Introduction : danse orientale, danses orientales et préjugés

chapitre 1 : danse vulgaire et provocante?

chapitre 2 : danse de femmes?

chapitre 3 : danse de « stars » ?

chapitre 4: danse du ventre ?